« What a wicked game you play to make me feel this way. »
Elle avait rêvassé longtemps, partagée entre le monde des songes et celui plus cruel de la réalité. Les paupières clauses, la respiration tranquille, la jeune femme n’était pas prête à affronter la vie et son soleil éclatant. Peut-être est-ce le vin de la veille, mais il lui semblait que les draps étaient lourds comme du plomb et qu’échapper à Morphée n’était ni voulu, ni possible. Dans ses songes, Éléanor avait trouvé la suite logique de leur merveilleuse soirée. De grandes robes de bal, des rires amicaux et le brillant de mille lumières qui tournoyaient autour de sa bien-aimée. Pourtant, malgré l’idylle de son rêve, elle ne put résister à la voix d’ange qui vint chatouiller ses oreilles et aux lèvres aventureuses qui vinrent frôler sa peau.
« Mmh... » marmona-t-elle encore à moitié dans les vapes.
« Oui… J’ai rêvé de toi. C’était magique. » fini-t-elle par répondre alors que les mots de sa compagne faisaient leur chemin dans sa tête somnolente. Qu’elle heure pouvait-il bien être ? Était-ce si important de se lever ? À l’instant, blotti contre son amante, il lui semblait que toutes ses autres occupations et responsabilités n’étaient que des broutilles encombrantes. L’idée de la convaincre de rester était tentante, mais c’était aussi un jeu piquant, car le crime n’attendrait pas que les deux jeunes femmes soient parfaitement reposées pour agir.
À travers ses boucles auburn, l’écrivaine afficha une moue déçue lorsque la brune s’échappa de l’emprise tentatrice du lit. Le devoir appelle et il appelle souvent quand on travaille à Gotham City. Éléanor lui envoya un baiser de la main alors que l’inspectrice fit son chemin jusqu’à la salle de bain. Quant à elle, elle comptait bien profiter de sa journée de repos bien mérité et ne bougea pas d’un pouce alors qu’Anna faisait sa toilette. Toujours enroulée dans les draps à son retour, la policière se redressa sur ses coudes pour l’admirer de la tête au pied, sans vergogne ou gêne. Son regard coquin fut vite remplacé par un sourire sarcastique à la mention de « juste pour faire le point. » C’était rarement si simple, surtout concernant ce cher Vicentini, même Brody en avait long à dire à son sujet... Des paroles qu’elle se gardait bien de mentionner à sa compagne cependant.
« À mon avis, tu en as pour tout l’avant-midi… Ou l’après-midi ? » Éléanor fronça les sourcils, soucieuse de l’heure qu’il pouvait être tout à coup. Le fait de voir Anna prête pour sa journée lui donnait l’impression qu’elle devrait surement s’y mettre aussi. Finalement, vaincue par le gong, Éléanor laissa la brune s’échapper de leur petit nid d’amour. Tout en lui faisant signe de la main, Éléanor étouffant un bâillement de l’autre. Pour sa part, c’était la cafetière qui hurlait son nom.
Dans sa flemmardise matinale, la jeune femme trouva peu d’intérêt dans l’art de se vêtir convenablement. Pour une fois, les caprices de la mode semblaient perdre de leur influence sur la belle qui avait l’impression d’avoir la tête dans un brouillard. L’envie d’aller aux cuisines en peignoir lui effleura l’esprit, mais Eleanor n’était pas certaine d’être seule au manoir. Une brise d’air, un ou deux mômes de Madame le Maire qui passe en courant, sans parler du mari, et elle se ferait gronder. De ce fait, elle attrapa une simple robe noire aux motifs géométriques blancs qu’elle enfila sans collant et sans chaussure. Nu-pieds sur les grands tapis de la demeure, elle descendit le grand escalier, puis finit par mettre la main sur une bonne dose de caféine. Au passage, elle attrapa une des pâtisseries qu’elle avait apporté de l’établissement de ses parents la veille. Armée de son petit déjeuner, elle se mit alors à déambuler dans les couloirs silencieux, réalisant très vite qu’il n’y avait personne dans la demeure. Éléanor n’avait jamais été une fille très timide ou même prude et, où qu’elle aille, elle prenait rapidement l’habitude de faire comme chez elle ou presque. Toutefois, Clarice et son mari étaient des figures quelque peu intimidantes, surtout pour une femme comme elle, une femme qui aimait jouer sur plusieurs échiquiers à la fois. L’ombre d’une reine restait une menace de taille!
Passant la tête dans l’embrasure des portes, elle s’assura de sa totale solitude avant de remonter à l’étage réservé à la cadette des sœurs Reynolds. Elle engloutit les restes de son petit déjeuner, déposa sa tasse de café sur la table de chevet de la chambre, puis attrapa son téléphone ainsi que son sac. À pas de loup, elle se dirigea vers le bureau de sa compagne. Il lui avait semblé que la porte était resté entrouverte durant son inspection et, maintenant qu’elle avait plusieurs heures de libre devant elle, pourquoi ne pas prendre de l’avance sur ce rapport qu’elle devait encore à Brody ? C’était devenu un peu comme une seconde nature, une seconde peau, dans laquelle l’écrivaine se dénudait de toute émotion. Elle ne le faisait ni par méchanceté ni par cruauté, seulement pour combler son vice monétaire toujours plus grand. Avec le temps, la rouquine s’était convaincue qu’elle ne faisait rien de mal. Qu’elle était différente de toutes les vipères qu’elle avait envoyé derrière les barreaux. Elle n’était pas seulement mieux qu’eux, elle était plus intelligente et plus astucieuse. L’écrivaine s’était tellement tissée de mensonge qu’elle avait fini par s’aveugler elle-même, ignorant l’épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
Alors que ses doigts effleuraient les tiroirs d’Anna, elle ne se doutait pas qu’une voiture se garait dans l’entrée. La fin approchait, dans ses escarpins rouges et ses lèvres carmin, et elle apportait une tempête avec elle... Toutes ces intrigues, ces dossiers qu’elle dissimulait dans son sac ainsi que les photos compromettantes qui s’accumulaient dans son téléphone, tout cela n’était que des éléments de plus dans un immense château de cartes. Une œuvre qui risquait de s’écrouler à tout moment si Éléanor ne faisait pas autan preuve de discrétion et de prudence. Sauf qu’aujourd’hui, les choses se passaient différemment. Aujourd’hui, Éléanor réalisa qu’elle n’était pas la seule qui avait un jardin secret. Ses yeux clairs s’écarquillèrent alors que la belle posa la main sur de vieilles coupures de journaux dissimulés dans un livre de la bibliothèque. Sa bouche s’ouvrit sous la surprise, mais aucun son n’en sortit alors qu’une profonde tristesse figea ses traits fins. Incapable de détourner les yeux, la policière scrutait le contenu des articles datant de plusieurs années ; « DEUX SCIENTIFIQUES RETROUVÉS MORTS DANS LEUR MAISON », « UN COUPLE SAUVAGEMENT ASSASSINÉ : DEUX FILLETTES SURVIVENT AU MASSACRE », etc. Les mots en noir sur blanc firent leur effet alors que la stupeur lui fit baisser sa garde. Encore sonnée de cette révélation sur le passé de son amante, Éléanor n’entendit pas la voix d’Anna qui l’appelait au loin. Quelque part dans la maison, une horloge tiqua avant de sonner. Ses coups lugubres couvrirent le son des pas de l’inspectrice qui approchait et, d’une certaine façon, soulignait funestement la déchéance de leur amour.
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